BKR Capital : diversifier le monde du capital de risque et créer plus de richesse dans la communauté noire
Peut-être avez-vous entendu parler d’un fonds lancé par la championne Serena Williams pour amener notamment plus d’inclusion et de diversité dans le capital de risque aux États-Unis ? Eh bien, le Québec a sa propre championne. Elle s’appelle Lise Birikundavyi.
Au Canada, environ 30 % de la population noire vit au Québec et, de ce nombre, près de la moitié réside sur l’île de Montréal. Il était donc normal que BKR Capital, le premier fonds canadien de capital de risque orienté sur les besoins d’investissement de la communauté noire, s’installe à l’Espace CDPQ.
Mais qu’est-ce que BKR, précisément ? Pour le comprendre, il faut découvrir le parcours et la vision de ses cofondateurs, Lise Birikundavyi et Isaac Olowolafe.
Du Black Innovation Program à BKR
« BKR Capital, explique Lise Birikundavyi, découle du projet qu’avait Isaac de lancer éventuellement un fonds qui répondrait aux besoins de financement des entrepreneurs noirs canadiens, qui sont souvent ignorés par les investisseurs en capital de risque. Nous ne nous connaissions pas, mais j’avais entendu parler de ses succès dans le développement immobilier et dans quelques entreprises où il s’était impliqué comme investisseur. Il avait aussi, à Toronto, contribué à mettre sur pied le Black Innovation Program avec l’accélérateur technologique DMZ et la Metropolitan University. Je suis donc entrée en communication avec lui et nous avons vite constaté que nous avions la même vision des choses. »
Une vision qui repose sur un constat : la communauté noire, malgré le vaste potentiel de projets entrepreneuriaux qu’elle recèle, passe souvent sous le radar des investisseurs en capital de risque, ce qui la prive d’une importante source de financement et, en même temps, prive le capital de risque lui-même d’un puissant vecteur de création de valeur.
« Dans mon propre parcours professionnel, explique Lise, j’étais à une croisée des chemins. J’avais œuvré pour un fonds de couverture, puis pour des fonds se concentrant sur des investissements d’impact dans des économies émergentes, notamment en Afrique, mais j’avais désormais la conviction que je devais faire partie de la solution ici, chez moi. »
C’est donc ainsi que Lise Birikundavyi et Isaac Olowolafe ont décidé de joindre leurs forces et, en 2020, de créer Black Innovation Capital, qu’ils renommeront BKR Capital en janvier 2022.
Un fonds axé sur la communauté noire
À ce jour, BKR a constitué un fonds de 18,5 millions de dollars, qu’elle prévoit investir dans 18 entreprises issues de la communauté noire au Québec et au Canada. Son objectif est d’investir dans les projets d’entrepreneurs prometteurs du domaine de la technologie – des projets transformationnels qui perturberont le statu quo. « Nous sommes intentionnels dans notre stratégie et nous tenons à investir avec conviction auprès d’entrepreneurs visionnaires. Nous nous engageons uniquement là où nous pouvons apporter de la valeur. »
Pour se qualifier, l’entreprise doit avoir au moins 25 % de son actionnariat ou 25 % de sa haute direction composée de personnes s’identifiant comme membre de la communauté noire. Mais il ne suffit évidemment pas d’être un entrepreneur de la communauté pour faire l’objet d’un investissement. « Nous sommes très axés sur la performance et appliquons les mêmes critères que tout investisseur en capital de risque, notamment l’expérience de l’entrepreneur, l’adéquation du produit au marché (product-market fit), les ventes existantes, et aussi notre propre capacité à ajouter de la valeur auprès de l’entreprise. Parfois, nous ne voyons simplement pas ce que nous pouvons apporter et il est important de nous positionner comme partenaires de croissance pour nos entreprises en portefeuille. Il y a beaucoup d’appelés – d’ailleurs nous avons étudié près de 400 dossiers à ce jour – mais peu d’élus. »
Un soutien à plusieurs niveaux
La firme, qui a ses bureaux à Montréal et Toronto avec des antennes à Edmonton et à Londres, s’est donné un cycle d’investissement de quatre ans. Déjà, quatre entreprises ont fait l’objet d’investissements. « Nous investissons du stade du préamorçage jusqu’à celui de la série A, et nous avons prévu conserver la moitié du fonds pour des réinvestissements dans des compagnies du portefeuille. »
Les « premiers chèques » du fonds vont de 150 000 $ à 600 000 $, mais la firme n’hésite pas à envisager des co-investissements pour procurer un apport de capital plus important à certains entrepreneurs. Elle apporte aussi à ces derniers tout un soutien organisationnel et professionnel, notamment en vertu de partenariats avec la base entrepreneuriale HEC Montréal et l’accélérateur DMZ.
Sans nécessairement en faire des thèses dans la construction de son portefeuille, BKR s’intéresse principalement aux innovations technologiques dans les secteurs de l’immobilier, de la finance et de l’éducation, de même qu’à des produits et services répondant à des besoins non comblés de communautés minoritaires.
Objectif : « démolir notre modèle d’affaires »
En même temps, BKR veut opérer une preuve de concept auprès du secteur du capital de risque, qui a tendance à sous-évaluer le potentiel de création de valeur des communautés racisées. « Nous voulons que notre réussite fasse boule de neige et qu’éventuellement, la question de la diversité et de l’inclusion ne se pose même plus pour les fonds de capital de risque. À ce moment, la pratique sera généralisée et les fonds comme le nôtre n’auront plus besoin d’exister. Au fond, idéalement, nous voulons démolir notre modèle d’affaires ! »
À cet égard, Lise considère l’Espace CDPQ comme un environnement de travail exceptionnel pour BKR. « C’est extrêmement valorisant d’être entouré d’investisseurs aussi expérimentés, qui ont bâti de grands succès avec leurs propres fonds. Les occasions de dialogue et même de co-investissements que cet environnement rend possibles sont précieuses. »
Reste évidemment à expliquer à ces autres investisseurs la signification des trois lettres B, K et R... Et pour cela, il faut découvrir un autre parcours, celui de l’empereur malien Abu Bakari II qui, près de 200 ans avant Colomb, aurait mobilisé une flotte de 3 000 navires pour partir à la découverte du Nouveau Monde, où des traces de son expédition seraient encore présentes aujourd’hui. « Abu Bakri II avait accès aux plus grands esprits de son temps, qui convergeaient vers l'Université de Tombouctou. Il a utilisé les connaissances et les technologies les plus avancées du XIVe siècle pour aller explorer l’inconnu. Pour nous, il est l’exemple d’une culture noire tournée vers l’innovation et il est à l’image des entrepreneurs que nous souhaitons soutenir : avant-gardistes, audacieux et prêts à repousser les limites en réalisant ce que d’autres considèrent comme impossible. »
Abu BaKaRi II : BKR. Un ancrage à la fois dans l’histoire et dans l’avenir.
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Derrière les chiffres
Ce que Lise Birikundavyi aime le plus dans son métier
« La plus belle partie de notre métier est assurément de parler avec des entrepreneurs inspirés, en particulier ceux qui nous accordent leur confiance. Ils nous rendent fiers. »
Ce qu’elle aime le moins dans son métier
« La partie un peu plus compliquée du travail est que, pour le moment, nous sommes le seul fonds au Canada à mettre l’emphase sur les entrepreneurs noirs. Cela suscite beaucoup d’espoirs chez eux, mais, pourtant, il nous faut demeurer très sélectifs. Nous devons donc continuer d’inspirer la communauté, malgré le fait que nous ne pourrons pas soutenir toutes les entreprises qui le souhaiteraient. »
Une figure inspirante
« Mon père. C’est un homme très accompli, mais qui a vécu des choses très difficiles (dont la guerre et plus récemment un AVC) et qui est un bel exemple de résilience. C’est aussi une personne qui a toujours poussé ses quatre enfants à aller au bout de leurs ambitions. On a l’impression que tout ce qu’il fait dans la vie est pour nous aider à aller de l’avant. »
Sur sa table de chevet
« Présentement, je lis deux livres en même temps. Le premier est An American Marriage, par Tayari Jones, qui remet en question nos systèmes de valeurs et met en relief, encore une fois, la difficulté d’évoluer en tant que Noirs aux États-Unis. Le second est Who owns Canada now?, par Diane Francis, qui me fait découvrir des parcours d’investisseurs et d’entrepreneurs que je ne connaissais pas. »
La série qu’elle a le plus aimée
« Je n’écoute pas énormément de télévision, mais je me retrouve de temps à autre devant des séries coréennes (que ma famille me pousse à regarder !) ou des séries de Nollywood, c’est-à-dire des séries nigérianes, sur Netflix. »
La playlist qu’elle écoute présentement
« Mes goûts penchent généralement du côté de l’Afrobeat et de l’amapiano. J’aime bien la récente collaboration entre Ed Sheeran et Fireboy, ainsi que la musique de l’artiste Davido. »