Économie connectée : au-delà de l’objet, la donnée | Espace CDPQ
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Économie connectée : au-delà de l’objet, la donnée

On estime que le nombre d’appareils connectés à Internet sera trois fois plus élevé que celui de la population mondiale en 2023. Et près de la moitié de ces appareils seront en fait des machines autonomes échangeant des données avec… d’autres machines.  

Nous sommes en 1999. Un gestionnaire de marque pour Procter & Gamble, Kevin Ashton, donne à sa présentation Powerpoint le titre de « Internet of Things » pour attirer l’attention des décideurs sur la possibilité de révolutionner la chaîne d’approvisionnement à l’aide de puces de radio-identification (RFID).

Plus de vingt ans plus tard, bien que Ashton soit toujours crédité pour la paternité de l’expression, ce qu’on appelle l’Internet des objets recouvre des champs d’application multiples qui vont bien au-delà de la chaîne d’approvisionnement. De la montre intelligente au thermostat connecté en passant par la voiture autonome, les objets connectés sont omniprésents. Et pourtant, il pourrait bien s’agir seulement de la partie visible de l’iceberg.

« L’objet lui-même est limité »

Jacques PerreaultJacques Perreault est associé principal chez Brightspark Ventures et, au cours des vingt dernières années, a participé à de nombreuses rondes de financement pour des entreprises technologiques. Selon lui, l’expression « Internet des objets » ne donne pas la pleine mesure de ce secteur d’investissement. « L’objet lui-même, un simple capteur par exemple, est limité dans ses opérations. Sa seule utilité est de saisir des données et de les transmettre. Il en va différemment de dispositifs intelligents qui, eux, reçoivent des données spécifiques de l'environnement physique et utilisent une programmation intégrée pour exécuter des fonctions prédéfinies. Ces dispositifs traitent ensuite les données avant de les transmettre à une plateforme logicielle, généralement en nuage, où elles seront traitées pour revenir en amont et permettre d’optimiser les opérations. C’est dans ce type de capteurs intelligents et ces plateformes qu’est la véritable la valeur ajoutée, et c’est à ce niveau qu’est l’intérêt des investisseurs. »

Si Jacques Perreault parle « d’opérations », c’est qu’une partie encore importante de ces systèmes connectés est consacrée à des applications B2B (business-to-business). Selon les analystes de la firme McKinsey, celles-ci représenteront encore 62 % de la valeur économique potentielle du marché des objets connectés à la fin de la présente décennie. Les applications en milieu industriel constitueront à elles seules quelque 26 % de l’ensemble, alors que celles dans le milieu de la santé représenteront de 10 à 14 %. Néanmoins, les applications B2C (business-to-consumer) gagneront rapidement en puissance, en raison d’un rythme d’adoption des solutions connectées résidentielles – comme les systèmes domotiques – plus rapide qu’anticipé. Ce segment représenterait près des trois quarts du nombre d’appareils et de connexions en 2023.

Un secteur en croissance spectaculaire

Dans son dernier Livre blanc sur l’état de l’Internet, la firme Cisco donne un portrait plus précis de l’état actuel des choses. Si on évalue généralement à 25 milliards le nombre d’appareils connectés à Internet, plus de la moitié seraient en fait des connexions machine-à-machine. Cette part n’était que de 33 % en 2018. On estime que le nombre de connexions machine-à-machine croîtrait au rythme annuel composé de pas moins de 19 % et passerait à près de 15 milliards dès 2023. 


connexions machine-à-machine
Source : Cisco / Graphique : Espace CDPQ

« C’est un secteur où la notion de vélocité prend tout son sens, explique Jacques Perreault. C’est ce qui fait aussi que des petits joueurs, notamment des startups d’ici, ont leur place dans le marché. Leur cycle d’innovation est beaucoup plus court que celui des géants mondiaux du secteur comme les Bosch, Siemens, Fujitsu, Oracle, GE et même Apple et Google, où l’innovation est pourtant au cœur du modèle d’affaires. C’est pourquoi ces grandes organisations vont souvent préférer acheter des petites entreprises que de bâtir elles-mêmes la solution. » 

Vers un « Internet de tout »

Georges KaddoumProfesseur à ÉTS et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la création d’un nouveau cadre pour les prochaines générations de réseaux intégrant l’Internet des objets, Georges Kaddoum estime lui aussi que le secteur va bien au-delà des objets. « Cisco met même de l’avant le concept d’Internet of everything, pour décrire le déploiement de systèmes complexes qui englobent les personnes et les processus. Outre les communications machine-à-machine, on parle ici de connexions machine-à-personne et d’interactions personne-à-personne soutenues par la technologie. »

Il y a encore cependant loin de la coupe aux lèvres, estime Georges Kaddoum. « La possibilité d’automatiser de plus en plus le fonctionnement de nos maisons, de nos usines, de nos transports et de nos villes est au cœur de la vision. Cependant, la 5G ne suffira pas à fournir un support adéquat aux énormes données générées par des appareils massivement interconnectés. Il faut déjà envisager un réseau de sixième génération pour étendre les capacités de la 5G et permettre à des milliards d'appareils et d'applications connectés de fonctionner de manière transparente, avec une faible latence et une large bande passante. Il reste beaucoup de défis à surmonter ! »

Un éléphant nommé sécurité

Reste aussi un éléphant dans la pièce : la protection des renseignements personnels et la sécurité. L’adoption rapide de l’Internet des objets crée en effet de nouveaux risques liés notamment à la transmission sans fil des données. Ces attaques, estime Georges Kaddoum, pourraient prendre la forme de vol de renseignements, mais aussi de prise de contrôle des systèmes et de rupture de services, ce qui pourrait entraîner des dommages aux appareils, voire mettre la vie de personnes en danger. « L’hétérogénéité des systèmes et des applications crée une multitude de vulnérabilités. En même temps, la capacité de traitement et l’autonomie limitée des piles de plusieurs objets connectés ralentissent le déploiement de mécanismes de sécurité reposant sur le cryptage et l’authentification. Cet autre défi est lui aussi très réel. »

Jacques Perreault reconnaît également que la sécurité constitue un enjeu de taille. « Qui dit connexion dit risque de fuite de données. Les sources de danger sont nombreuses, à commencer par une gestion inadéquate des accès, des logiciels qui ne sont pas à jour ou encore des interfaces qui ne sont tout simplement pas sécurisées. » Mais il estime aussi qu’en fait, la vulnérabilité des réseaux peut être vue elle-même comme un secteur d’investissement, puisque des solutions devront être développées pour sécuriser, en quelque sorte, la nouvelle économie connectée. 

« C’est clairement un enjeu, mais qui pourrait faire apparaître de belles occasions d’investissement. »


Les sources suivantes ont été utilisées pour la rédaction de cet article : Cisco,  Annual Internet Report (2018–2023) White Paper ; Forbes, Why IoT Cybersecurity Risks Are An Investment Opportunity ; Kevin Ashton, That ‘Internet of Things’ Thing ; McKinsey Digital, IoT value set to accelerate through 2030: Where and how to capture it ; TechJury, 49 Stunning Internet of Things Statistics 2021.