Lion, le roi de la jungle
« Le roi de la jungle » : c’est ainsi qu’un analyste financier a récemment qualifié Lion Électrique, alors qu’il se prononçait sur l’avenir du secteur des camions et des autobus électriques. Après 13 ans de recherche et d’innovation, il semble en effet que le lion soit prêt à rugir.
Mars 2021 : l’entreprise de St-Jérôme Lion Électrique acquiert une notoriété publique instantanée, lorsqu’elle annonce la construction d’une usine de batteries et d’un centre d’innovation. En réalité, cet investissement de 185 millions de dollars n’est que le prolongement des efforts que l’entreprise déploie depuis 2008. Le travail de ses artisans et les forces convergentes des investisseurs clés qui se sont associés à l’aventure lui permettent de s’attaquer aujourd’hui à un marché évalué à quelque 110 milliards en Amérique du Nord. Et, au passage, de changer un peu le monde.
Entrevue avec Marc Bédard, président et fondateur de ce leader technologique aux racines profondément québécoises.
Q : Pourriez-vous nous décrire Lion Électrique en quelques mots ?
MB : Lion est née en 2008, d’abord de mon propre rêve entrepreneurial, que j’avais depuis des années, puis d’une volonté de révolutionner un secteur, celui des véhicules lourds et semi-lourds. En 2010, nous avons décidé que l’avenir de ces véhicules serait électrique et qu’il fallait concevoir des véhicules à partir de zéro, en fonction de cette nouvelle technologie. C’est une vision qui n’était pas nécessairement partagée. Il faut se rappeler que Tesla elle-même était encore très peu connue ! J’ai investi dans l’entreprise l’essentiel de mes avoirs, ai rassemblé une équipe incroyablement passionnée, dévouée et performante, et nous avons travaillé de façon acharnée sept jours sur sept, année après année : à tel point qu’on a parfois l’impression qu’une année chez Lion, c’est cinq ans ailleurs.
Aujourd’hui, contrairement à plusieurs autres joueurs qui ont embarqué après nous dans le modèle électrique, Lion est « réel » : nos véhicules électriques roulent sur les routes depuis 2016 et nous avons une avance de plusieurs années sur la concurrence. Avec nos investissements en innovation, nous entendons bien conserver cette avance.
Q : Quelle a été votre stratégie pour développer vos produits ?
MB : Nous avons commencé par le marché des autobus scolaires. C’est une industrie qui avait assez peu évolué au fil des décennies, que ce soit en termes de motorisation, de matériaux ou d’expérience pour l’opérateur. C’est aussi un secteur où nous pensions qu’il serait plus facile d’expérimenter de nouvelles technologies électriques, parce que les parcours sont relativement courts et prévisibles. J’ai eu la chance de convaincre Camille Chartrand, qui avait dirigé le fabricant d’autobus Corbeil pendant plusieurs années, de devenir mon partenaire dans l’entreprise. Camille a apporté tout son savoir de l’industrie et de la fabrication, alors que je m’efforçais de définir le nouveau modèle d’affaires. Notre premier autobus a pris la route en 2016 et aujourd’hui, nous sommes le leader dans le marché des autobus scolaires électriques en Amérique du Nord.
D’un point de vue plus philosophique, nous trouvions aussi qu’en réinventant les véhicules que nos enfants empruntent tous les jours, nous prouvions que nous étions là pour les bonnes raisons : notre ambition était de changer le monde pour le leur laisser dans un meilleur état.
Q : Vous produisez aussi une gamme de camions électriques, dont certains seront d’ailleurs livrés bientôt à Amazon, et un véhicule électrique pour le transport adapté. Vous avez développé ces produits après le lancement de vos autobus électriques ?
MB : Avant ! En fait, certains dans l’équipe me disaient : on ne pourrait pas arrêter de développer un peu avant de lancer un premier produit ? La réponse, c’est non, nous n’arrêterons jamais de développer… En fait, nous avions mesuré l’intérêt de plusieurs clients pour des camions électriques lourds ou semi-lourds, et il était très grand, même si la forme que prendrait le produit était encore difficile à imaginer. Dès 2015, nous avons donc pris l’engagement de concevoir une flotte de camions électriques pour la lancer en 2020-2021. À partir de 2017, avec le succès de nos autobus, notre crédibilité était fortement implantée et nous avons pu lever les capitaux additionnels qui nous étaient nécessaires.
En parallèle, nous avons conçu un premier minibus électrique pour le transport adapté, qui a une signification particulière pour moi. Plus jeune, j’ai payé mes études en travaillant comme préposé aux bénéficiaires, et cette expérience a été déterminante. Je crois profondément qu’il faut s’occuper des autres. On a donc repensé ce type de véhicule de A à Z.
Q : La prochaine étape est-elle celle des véhicules légers, c’est-à-dire les voitures ?
MB : Ce n’est pas notre intention. Le marché de la voiture électrique sera bientôt desservi par un grand nombre des constructeurs de qualité. Par comparaison, l’autobus et le camion électriques forment une niche à laquelle peu de joueurs avaient accordé l’attention qu’elle méritait. Il faut aussi être conscient que nous sommes dans une industrie qui demande de fortes injections de capital. Même si nous avons de grandes ambitions, nous savons qu’il faut d’abord marcher avant de courir, pour ensuite courir vite et longtemps. Pour cette même raison, nous concentrons nos efforts sur le marché nord-américain, tout en gardant un œil sur le monde, que nous aborderons peut-être, un jour, avec un modèle d’affaires différent.
Q : Puisque vous parlez de capital, quel rôle ont joué les investisseurs en capital de risque dans votre développement ?
MB : Un rôle incroyable. Je dis souvent que notre conseil d’administration est un « conseil qui conseille ». Chaque ronde de financement nous a amené non seulement du capital mais aussi et surtout des partenaires stratégiques qui se sont engagés et ont joué un rôle clé pour Lion. Évidemment, nos premiers investissements étaient surtout du « love money » avec un peu de capital de risque. Un point tournant a été l’arrivée d’XPND Capital en 2015. L'équipe partageait notre vision et nous avons profité de leur expertise et de leurs réseaux. Puis, à partir de 2017, Power Corporation est également venue ajouter sa pierre à l’édifice. Et tout au long de ces années, lnvestissement Québec et le Fonds de solidarité FTQ ont également été à nos côtés.
Nous sommes maintenant rendus à une étape de notre croissance où les besoins en capitaux se calculent en centaines de millions. Nous avons donc fait notre entrée en Bourse en 2021, même si ce n’était pas nécessairement le plan initial.
Q : Où sera Lion dans 10 ans ?
MB : J’espère bien que nous aurons contribué à sauver un petit bout de la planète ! Et à créer un monde où les enfants de six, sept ans qui empruntent aujourd’hui nos autobus électriques n’auront pas de question à se poser lorsqu’un jour ils achèteront leur premier véhicule : il sera électrique.
LION ÉLECTRIQUE EN UN COUP D’ŒIL
Création de la compagnie :
2008
Décision d’opter pour une motorisation électrique :
2010
Première ronde d’investissement privé :
2011
Premiers autobus scolaires électriques livrés :
2016
Premiers camions électriques livrés :
2020
Produits :
véhicules 100 % électriques lourds et semi-lourds pour le transport des personnes et des marchandises
Nombre d’employés :
plus de 650, dont plus de 200 ingénieurs
Stade d’investissement :
société cotée en Bourse (Toronto, New York)
Ambition :
contribuer à changer le monde